Dernières Nouvelles d'Alsace, Mercredi 04 juin 2003

 

Leur viaduc bien aimé

L'inauguration du pont Churchill en grande pompe, le 1er juillet 1967.(Photo archives DNA)

Monique et Andrée Maennel sont l'épouse et la fille du concepteur du pont Churchill, décédé en 1991. Le père de Patrick Weber était l'ingénieur qui travaillait pour Wagner, l'entreprise maître d'oeuvre du chantier, de 1965 à 1967. Tous voient d'un mauvais oeil la disparition d'un ouvrage d'art, « témoignage d'une époque ».

Monique Maennel n'évoque pas son époux sans une certaine admiration. Ingénieur en chef à la ville de Strasbourg, diplômé de l'école des Ponts de Paris, Edmond Maennel fut, de 1952 à 1988, « l'homme aux ponts » dans la capitale alsacienne. « Il était esthète, en plus d'être technicien, souligne-t-elle. Il peignait, il faisait des caricatures, il croquait les hommes politiques. »  Edmond Maennel a laissé une trace à Strasbourg, comme concepteur des ponts de la Dordogne, des Frères-Matthis et Winston-Churchill. « Sa première oeuvre en sortant de l'école, c'était un pont, se souvient Mme Maennel. Il aimait la symbolique du pont. Pour lui, ce n'était pas seulement utilitaire, il voulait donner une dimension esthétique, il aimait le beau. »

« Détruire une telle oeuvre, c'est absurde »

 L'annonce de la destruction probable du pont Churchill a affecté la famille Maennel. « Je suis sûre que si mon mari était encore là, il aurait trouvé une solution. Il aurait tout fait pour ne pas le démolir. Détruire une telle oeuvre, je ne peux pas l'admettre, c'est absurde. » Plus qu'une réalisation de son père, Andrée Maennel y voit le « témoignage d'une époque » : « Ce pont est entré dans l'environnement, il est très bien intégré. C'est un des plus beaux exemples de l'architecture des années 60, une époque où l'Esplanade a émergé. D'un point de vue architectural, il a sa place à Strasbourg ».  Collectionneur de plus d'un millier de cartes postales de ponts, Patrick Weber verse aussi sa larme. Son père, Paul, décédé en 1985, était l'ingénieur en chef de la société Wagner, qui construisit le viaduc Churchill. « Mon père m'a donné le goût de l'esthétique des ouvrages d'art. J'ai été bercé dans ce milieu des travaux publics, raconte celui qui a fait carrière dans la banque. J'allais sur les chantiers avec lui. Il avait l'esprit bâtisseur. » A 40 ans, lorsque M. Weber apprend le projet de destruction, son sang ne fait qu'un tour : « Pour moi, c'est un pont qui devait durer, ça faisait partie de mes souvenirs, de mes repères. Véritablement, ça me faisait quelque chose ».

La solution la plus simple

 Parce que le viaduc Churchill est « joli à regarder » et qu'il « fait partie du paysage urbain », il faudrait le conserver : « L'Arche de la Défense, à Paris, est une belle réalisation. Ça ne viendrait à l'idée de personne de la détruire ! ». « On a choisi la solution la plus simple, celle de défaire ce qui existe et d'aller en ligne droite au-dessus de l'eau », s'emporte M. Weber, soutenu en cela par Mme Maennel, qui loue « la courbure, la taille, la dimension » de l'ouvrage, dont la destruction serait « évitable ». « Il est pratique, ce pont, jure Mme Maennel. Mais il est dans un état épouvantable, on ne s'en est pas occupé ! ». « Il est solide, sain, pas dangereux, affirme comme en écho M. Weber, il rend des services. »  Ne se résolvant ni les uns ni les autres à la remise à niveau de l'ouvrage d'art au-dessus du bassin Dusuzeau, dans le cadre de l'extension du réseau de tramway, les familles ont, séparément, tenté des démarches. Mme Maennel a écrit à Fabienne Keller et Robert Grossmann - « J'ai eu une réponse qui ne me satisfait pas. Ils disent qu'ils veulent une structure plus légère ». Elle et sa fille attendent d'aller donner leur avis sur les registres de l'enquête publique (*). M. Weber ira aussi. Pour l'heure, il rencontre les associations qui se battent contre l'extension du tram telle qu'elle est prévue. « Il y a un risque que l'Esplanade devienne une station de transit, un point de passage, une gare de triage. Le pont fait partie de l'âme du quartier, comme le parc de la Citadelle ! »  Les deux familles verraient d'un bon oeil les Strasbourgeois embrasser leur combat.

Denis Tricard

(*) La destruction du pont Churchill et sa remise à niveau sont prévues dans le cadre du prolongement de la ligne C. Enquête publique concernant l'extension du réseau tram du 3 juin au 10 juillet.