Dernières Nouvelles d'Alsace, Mardi 10 Février 2004
Le reflet d'une époque
La « déconstruction » du pont Winston-Churchill va vraisemblablement bouleverser le paysage et les habitudes. Tout comme son édification avait changé le quartier. C'était à la fin des années 60. L'époque du tout-voiture où l'on ne pensait pas que les tramways reviendraient dans le coeur des villes.
« Une nouvelle opération urbaine de grande envergure a eu lieu à partir de 1958. Un immense quartier résidentiel et un complexe universitaire se sont créés sur l'Esplanade, qui relie le quartier de l'Ancienne Université à la Citadelle Vauban. » Ces quelques mots sont d'Edmond Maennel. Ils lui servent d'exorde au chapitre consacré au pont Churchill, dans l'ouvrage « Strasbourg et ses ponts », co-écrit avec Jean-Paul Haettel. Passionné d'ouvrages d'art, Edmond Maennel, ingénieur en chef à la ville de Strasbourg, est aussi le concepteur du viaduc. Un pont dont la finalité est, à l'époque, la liaison entre le faubourg du Neudorf et le nouveau quartier de l'Esplanade, séparés par un canal et des installations portuaires.
Le conseil municipal de Strasbourg avait décidé, rappellent MM. Maennel et Haettel, d'ériger un viaduc courbe « greffé » sur le rond-point de l'Esplanade. La proposition du concepteur du quartier de l'Esplanade, M. Stosskopf, architecte lauréat du prix de Rome, récemment décédé, de relier en ligne droite l'avenue De Gaulle (de la même largeur que les Champs-Élysées) et l'avenue Jean-Jaurès, était donc rejetée.
Dès lors, le viaduc de près de 700 m de long, conçu par M. Maennel, pouvait sortir de terre. Le service de la voirie, dirigé par M. Bunzli, se chargeait de sa réalisation. « Les appuis du pont, écrivait M. Maennel, ont dû être placés, pour des raisons d'esthétique, non pas perpendiculairement à l'axe de l'ouvrage, comme le veut l'usage, mais tous parallèlement à la direction du quai des Alpes. » « Grâce à cette disposition, poursuit l'ingénieur, la perception visuelle fait découvrir aux piétons une perspective heureuse conférant à l'ouvrage une unité architecturale de qualité. »
A
l'origine : l'armée
1954 : libération de l'espace. - C'est en 1954 que les autorités militaires manifestent l'intention de libérer un vaste secteur de 73 hectares entre la Krutenau et la Citadelle. Une aubaine pour la ville, qui trouve là un moyen de se développer à l'intérieur de son périmètre naturel. L'Esplanade s'est en effet trouvée englobée dans ce périmètre dès la seconde moitié du 18e siècle. C'est une aubaine aussi pour l'université. « L'opération Esplanade » est lancée sous le mandat de Charles Altorffer. Pierre Pflimlin, maire de Strasbourg, confie aux DNA, le 30 juin
1967 :
« Nous avons voulu créer une cité nouvelle à l'échelle de l'homme ».
16 juillet
1956 : « affectation au secteur civil ». - Le point 4 de
l'ordre du jour du conseil municipal du 16 juillet 1956, adopté par les élus,
entérine « l'affectation de l'Esplanade au secteur civil ».
13 avril
1963 : la nouvelle est diffusée. - Dans leur édition du 13 avril 1963,
les DNA annoncent pour la première fois l'existence d'un projet de pont entre
Esplanade et Neudorf. Sa longueur de 655 m ferait de ce viaduc le deuxième
pont de France.
12 février 1965 : la première pierre. - Sur le quai des Alpes, Pierre Pflimlin, alors maire de Strasbourg, pose la première pierre du viaduc en présence de M. Porter, représentant permanent de la Grande-Bretagne au Conseil de l'Europe, et de M. Selwyn, consul général de Grande-Bretagne à Strasbourg. Un parchemin, signé par ce dernier, est scellé dans les fondations de l'une des culées de la travée du quai des Alpes. Le texte rappelle que le nom de « Winston-Churchill » a été choisi pour rendre hommage à l'ancien Premier ministre britannique, décédé le 24 janvier 1965, et à qui le titre de « citoyen d'honneur de la ville de Strasbourg » avait été décerné. Une centaine de personnalités françaises et étrangères assistent à l'événement dès 10 h. La visite menée par l'architecte, M. Stosskopf, débute par le bâtiment emblématique de la faculté de droit. Une ville neuve est en train de naître là. 4 100 logements y sont prévus, ainsi que 22 hectares d'espaces verts.
Des
premiers aux derniers travaux
Mars 1965 : démolitions. - Les « DNA » du 20 mars 1965 l'annoncent, photo à l'appui : « Deux bâtiments disparaissent sur le tracé du pont Winston-Churchill ». Il s'agit du vieux local des Douanes, près du bassin d'Austerlitz, et d'un bâtiment adjacent.
Avril 1965 :
« La construction avance rapidement ». - C'est le titre des DNA du
22 avril 1965. En effet, plusieurs piles en béton sont déjà coulées. Rue du
Landsberg, à Neudorf, on aménage déjà la rampe d'accès. On s'apprête aussi
à abaisser la route du Rhin d'1m90.
Août 1965 :
« Le pont prend forme ». - Les murs de soutènement de la rampe
d'accès sud sont construits, constatent les DNA du 14 août 1965. Les
entreprises réalisent la partie du viaduc qui enjambera le canal et le quai des
Alpes. En cette fin d'été 1965, les Strasbourgeois peuvent contempler « les
contours » définitifs de l'ouvrage d'art.
Novembre
1965 : les travaux route du Rhin. - Le 5 novembre 1965, la chaussée de la
route du Rhin passant sous le pont Churchill a entamé sa mutation. Entaillée
par des tranchées de 3 m de profondeur, la RN 4 s'apprête à être
élargie, tandis que des ouvriers s'affairent à déplacer les canalisations de
gaz, les câbles électriques et téléphoniques.
Septembre
1966 : la phase finale. - La semaine du 12 septembre 1966 voit la route du
Rhin endosser son macadam. On aborde la dernière phase des travaux du pont et
des voies d'accès.
Juin 1967 :
le carrefour d'accès aménagé. - En juin 1967, les services techniques de la
Ville mettent la dernière main à l'aménagement du carrefour important de
Neudorf, constitué par l'avenue Jean-Jaurès et les rues Baldner, du Lansberg,
de Rathsamhausen et de Bâle. Le pont Churchill reçoit ses derniers atours :
les balustrades et le revêtement définitif.
19 juin 1967 : premiers essais en charge. - A quelques jours de l'inauguration officielle, les DNA du 20 juin 1967 relatent les premiers essais en charge du viaduc. 16 camions d'un poids total de 455 tonnes ont été mis en place au-dessus des piliers. Le 21 juin, ce sont les travées qui sont contrôlées, grâce à huit camions statiques ou roulant à 6 km/h, et un véhicule de 40 tonnes roulant à une allure maximale de 60 km/h. A la même époque, on annonce la construction du centre commercial : 18 000 m², deux supermarchés, un parking de 700 places. On parle d'équiper ce centre d'une halte-garderie, d'une cafétéria et d'un cinéma d'art et d'essai de 350 places. Un second groupe scolaire devrait rejoindre celui qui existe depuis 1964. Une cité scolaire (collège et lycée) sera mise en chantier avant la fin de l'année 1967.
« Sous
un soleil de plomb »
1er juillet 1967 : l'inauguration. - L'inauguration du pont Churchill se fait à 16 h 30, sous « un soleil de plomb ». M. Selwyn, consul général de Grande-Bretagne, dévoile la plaque au nom de l'ancien Premier ministre britannique. Edmond Maennel, ingénieur en chef et directeur du bureau d'études de la ville de Strasbourg, rappelle dans son discours les détails techniques du chantier.
Cette inauguration suit celle du quartier de l'Esplanade (à 15 h 15). Elle marque aussi le dixième anniversaire de la Société d'aménagement et d'équipement de la région de Strasbourg (SERS). Les habitants du quartier ont été invités par l'ARES à pavoiser leurs fenêtres aux couleurs nationales.
Après la coupure du ruban par André Bord, secrétaire d'État à l'Intérieur, le consul général de Grande-Bretagne a dévoilé la plaque de dénomination de l'ouvrage. M. Radius, député et adjoint au maire, a rappelé le rôle essentiel des ponts dans le développement de Strasbourg. Le cortège des personnalités, accompagné des groupes folkloriques et des majorettes de Mulhouse s'est rendu, en franchissant le nouveau pont, au parc de la Citadelle, lui aussi inauguré.
Dans le parc, un spectacle est donné par le corps de ballet de l'opéra de Strasbourg, avec le concours de l'orchestre « Schnokeloch ». Le soir, une fête populaire organisée par la toute jeune ARES a lieu dans le parc
Denis Tricard (avec les archives DNA)